Les feuilles des arbres se sont mises à remuer légèrement. Le vent s’est levé, je l’entends qui siffle à travers les fenêtres de la maison; il harcèle les arbres dont les branches lèchent avidement le toit, secoue l’horizon qui jusque-là était demeuré immobile. Les oiseaux commencent à s’envoler sous le bruit de plus en plus assourdissant de ce qui s’agite maintenant furieusement. Le sol vacille, la maison tremble sous l’emprise de ces vents dont la violence me fait oublier la présence douce et apaisante qui m’entourait, et dans la quelle je me berçais, il y a encore quelques heures. L’on devine les bateaux qui chavirent, les mats abimés, les vies jetées par-dessus bord. La nature se déchaine avec un tel acharnement qu’elle efface presque complètement le souvenir de ce qu’elle peut aussi être telle une source inépuisée de lumière, une force enveloppante qui élève, nous fait rêver, nous fait aimer.
Un jour on rencontre un être qui nous dit je t’aime comme jamais encore on ne l’avait entendue. …
(…)
Mais ce n’est plus le même amour. Plus le même être. On ne sait trop, – il y avait le soleil et on a oublié les grands vents, la tempête qui pouvait venir tout casser. On avait oublié ce que l’on sait depuis toujours, oublié que tout n’est que passage et impermanence, qu’un jour l’ombre et un jour l’éclaircie, que tout peut basculer comme on retourne la terre pour l’ensemencer de nouveau.
On avait oublié la leçon de l’arbre et du vent qui vient tout balayer, celle de l’aube et du crépuscule.
On avait oublié le recommencement toujours possible.
Hélène Dorion, l’Étreinte des vents, Presses de l’université de Montréal